Trop souvent, l’histoire, la grande histoire, est écrite du point de vue des vainqueurs, qui imposent leur lecture des événements, pour en tirer la gloire. Bien souvent nous aimons ça, car nous avons été élevés dans cette façon de penser. Nos livres d’histoire racontent ces héros vainqueurs de conflits et de guerres au prix des souffrances des petits dont on n’a retenu aucun nom.
L’histoire du côté des vaincus
Ce matin, nous ne retenons pas l’histoire d’un de ces vainqueurs triomphants, dominants, écrasants, mais celle d’un homme crucifié, victime de la violence et de la méchanceté des hommes. Ici, c’est l’histoire d’un vaincu qui nous est racontée. Un homme brisé, les bras étendus en croix, un roi moqué et couronné d’épines.
La force et la puissance ne témoignent que de l’orgueil des hommes. Désormais, c’est la fragilité qui est au cœur de l’histoire. C’est dans la fragilité et la faiblesse que se révèlent la force de Dieu et la vérité de notre humanité. C’est du côté des petits qu’il faut regarder. Les perdants, les blessés de la vie… ce sont eux qui écrivent la véritable histoire de Dieu. C’est au fond d’un tombeau qu’il faut aller pour comprendre la vraie histoire.
L’amour de Dieu au travers de nos chaînes et nos fragilités
L’homme était allongé tout au fond d’un de ces tombeaux. Il avait toujours vécu libre et debout. Debout face aux puissants, aux Hérode, aux Pilate, qui s’en lavent les mains. Debout face aux riches qui ne remarquent plus l’obole de la veuve, ni le pauvre au pas de leur porte. Debout face au grand prêtre et aux hommes de religion, aveuglés par leur Loi et leurs institutions. Debout face aux pharisiens perdus par leurs vertus, leur orgueil d’hommes de bien et leur mépris de celui qui peine sur le chemin de la sainteté. Ils se sont tous ligués contre cet homme debout. Et ils l’ont abattu. Un linge sur la face pour qu’il se taise enfin. Un linceul, des bandelettes, pour qu’il ne bouge plus, qu’il reste allongé. Et une roche pour condamner l’entrée du tombeau. On ne sait jamais !
La parole des sans voix enfin écoutée
Avec lui tant d’enfants, tant de femmes, tant d’hommes sont allongés. Celles et ceux qu’on fait taire parce que leur parole entend demeurer libre et qu’elle dérange. Celles et ceux qu’on repousse parce qu’ils ne montrent pas patte blanche. Celles et ceux qu’on exclut parce qu’ils mettent en question le bon ordre établi. Celles et ceux qui font passer l’homme et la femme avant les règlements, les lois, les commandements, la finance. Celles et ceux aussi qui prennent le parti des petits et des pauvres. Celles et ceux qui parlent pour les sans‑voix. Ceux et celles qui voulaient vivre debout et qu’on a allongés.
Mais, ce matin, voici que l’allongé s’est levé. Voici qu’il s’est remis debout. Dieu ne supporte pas qu’on dise à l’homme “Couché !” comme on dit : « couché ! » à un chien servile ! Dieu veut l’homme debout et libre de l’aimer. Dieu mourra pour en arriver là.
Mais depuis ce matin, une brise légère, légère comme un espoir, légère comme l’amour, légère comme l’Esprit, se répand sur le monde. Une brise qui inquiète les puissants, les riches, les pharisiens. Mais les petits, les pauvres, se remettent debout. Et c’est Pâques pour eux, parce que c’est leur histoire qui est racontée là !
En désespoir de cause, les puissants, les riches, les pharisiens restent toujours là, à l’affut. Ceux qui avaient allongé l’homme, aimeraient réécrire l’histoire, essayant une fois de plus de récupérer l’événement, de se mettre en avant, toujours grands vainqueurs de l’histoire, malgré tout ce qui s’est vraiment passé. Il faut à tout prix empêcher les petits de se relever avec celui qui s’est levé.
Mais ce matin, l’inévitable s’est produit. Les arrogants sont confondus, honteux, ils ne peuvent qu’admettre le nouveau cours de l’histoire : l’humble sans nom, le crucifié avec Jésus, est désormais avec lui au paradis ! Et à sa suite, la foule immense des bannis de l’histoire prend la première place au banquet du fils de Dieu.
Homélie de Franz Lichtle