Eucharistie à Mortain : une page se tourne
Mercredi 12 octobre, au cours d’un pèlerinage d’automne à Pontmain, en Mayenne, les spiritains aînés se sont retrouvés à l’abbaye blanche de Mortain et son Séminaire des missions. Les pas sur l’herbe de la cour ravivent les souvenirs d’élève, de jeune homme. Au cours de la messe dans l’abbaye, désormais vendue, Jean Michel Jolibois, spiritain, ancien élève de Mortain prononce cette homélie.
“Engagés depuis peu dans la famille spiritaine, nous étions tout entiers tournés vers l’avenir, habités par un projet de vie missionnaire et religieuse. Ici, ce projet s’est précisé, affermi.” Jean Michel Jolibois
Ceux parmi nous qui ont vécu ici autrefois sont heureux de revenir y passer quelques heures. Pourquoi ce désir de revenir à l’Abbaye-Blanche ? La beauté du lieu, sa longue histoire… sans doute. C’est aussi parce que les deux ou trois années que nous y avons passées nous ont marqués. Nous avions 20 ans ou à peine plus. Engagés depuis peu dans la famille spiritaine, nous étions tout entiers tournés vers l’avenir, habités par un projet de vie missionnaire et religieuse.
Vie de jeune religieux étudiant à Mortain
Ici, ce projet s’est précisé, affermi, à travers l’étude, les temps de méditation, de prière dans ce lieu, à travers le partage et la détente en communauté, l’accompagnement et le témoignage de nos aînés (beaucoup sont déjà partis ; certains sont toujours dans une de nos maisons d’anciens : Jo Lambrecht, F. Nicolas, J. Savoie).
Nous avions une vie très réglée, studieuse, mais pas totalement en vase clos : nous faisions le catéchisme dans les paroisses des environs ; chaque carême, nous nous investissions dans une série de représentations de la passion (dans la longère), qui attiraient un bon nombre d’adultes, de jeunes et d’enfants des alentours. Nous étions plusieurs, le week-end, à accueillir et guider les visiteurs de l’Abbaye. Nous leur faisions découvrir aussi les précieux objets d’art africain du musée (toujours dans la longère) et nous échangions avec eux sur notre goût pour la mission.
Le tournant Vatican II depuis l’abbaye
Pour ceux d’entre nous qui étaient ici après 1965 (jusqu’en 1969), ces années nous ont marqué aussi parce que concile Vatican II venait d’avoir lieu. Nous ne percevions pas encore toute sa nouveauté, mais nous sentions bien que quelque chose d’important s’était passé : des portes et des fenêtres s’étaient ouvertes, au risque de créer des courants d’air et que certains s’enrhument ! Il faut dire qu’avant cela, dans notre Église, à côté de bonnes choses, ça sentait quand même pas mal le renfermé et nous étions contents de percevoir un souffle d’air frais…
C’est dans cette abbatiale que nous avons expérimenté les premières liturgies et les premières eucharisties entièrement en français… Mais surtout, on découvrait un nouvel esprit qui allait inspirer notre engagement missionnaire à venir : « Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, surtout des pauvres et de ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ… Il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur. » Alors que mûrissait en nous une consécration à la mission, cela nous parlait… Aujourd’hui encore, le pape François s’inspire de cet esprit quand il rédige Fratelli tutti, quand il nous engage à vivre une « amitié sociale ».
Mai 1968 : la liberté et le dialogue
Et puis il y a eu mai 68 ; nous étions loin des barricades du quartier latin à Paris ! Plus sagement, nous suivions les événements au journal télévisé… Nous en parlions aussi entre nous et avec nos formateurs… Il va de soi que nous nous sentions concernés par cette aspiration à passer d’un schéma plutôt vertical et hiérarchique de la société à une vision et à un fonctionnement plus participatif ; on se disait que cela devrait aussi être le cas pour l’Église… Et, heureusement, cela est advenu, peu à peu.
L’Esprit, guide de nos vies
Pourquoi rappeler tous ces souvenirs ? Si c’est par simple nostalgie, cela n’a pas beaucoup d’intérêt. Mais notre passage aujourd’hui à l’Abbaye-Blanche et l’évocation de ces années peuvent nous aider à renouer avec notre élan de jeunesse pour la mission, en l’ajustant bien sûr aux situations et aux appels qui nous arrivent aujourd’hui et aux limites et ressources de notre âge.
S’agissant de Vatican II et de son esprit, nous en trouvons clairement une source d’inspiration dans l’Épître aux Galates qu’on vient de lire. Paul nous invite à nous laisser conduire non par la Loi, mais par l’Esprit. La Loi, en effet, qui agit au moyen de la crainte, est incapable, à elle seule, de nous délivrer des œuvres de la chair (inconduite, débauche, rivalité, jalousies, etc.) ; incapable de nous mettre efficacement sur le chemin du Royaume.
Pour nous y mettre, Paul nous engage à nous laisser conduire par l’Esprit, lui qui opère non par la crainte, mais par attirance, dans la liberté ; l’Esprit qui a pour fruits : « amour, joie, paix, patience, bienveillance, douceur, maîtrise de soi… » Tout cela la Loi est incapable de le produire. « C’est l’Esprit qui nous fait vivre ; alors marchons sous la conduite de l’Esprit ! » N’est-ce pas là une des intuitions essentielles qui ont inspiré les Pères du concile Vatican II, une intuition que François voudrait nous voir mettre aujourd’hui au cœur de notre élan missionnaire : bienveillance, patience, joie, paix…
La saveur des vendanges tardives
– Pour ceux d’entre-nous qui arrivent à l’automne de leur vie, notre passage à l’Abbaye Blanche ne sera-t-il qu’un moment de douce nostalgie ? Il pourrait être une occasion de raviver en nous le goût de porter encore quelques fruits savoureux, de ces fruits nourris par l’Esprit dont nous parle Paul, même si ce sont des fruits « tardifs ».
Les vendanges tardives, paraît-il, ça peut donner de l’excellent vin. « Vieillissant, il fructifie encore… » dit le psaume… ! Nous prions l’Esprit qu’il réveille en nous ce goût de porter de bons fruits.
– Notre prière monte aussi vers Dieu pour les personnes qui vont mettre en œuvre le projet de formation humaine et professionnelle vers lequel cette maison est désormais orientée ; que ces personnes puissent faire face aux défis qui les attendent ; et qu’elles soient, elles aussi, inspirées par un esprit constructif et bienveillant pour accompagner celles et ceux qui seront ici accueillis.
L’abbaye de Mortain : lieu de rencontre et d’inspiration
– Nous n’oublions pas les mortainaises et mortainais amis de l’Abbaye, qui continuent à suivre attentivement le devenir de cette maison, partie intégrante de leur patrimoine. Nous les remercions pour l’intérêt qu’ils portent à sa sauvegarde et à sa mise en valeur. Nous prions pour que cette maison puisse rester, pour eux et pour d’autres, un lieu inspirant, dans la ligne de ce qu’elle a été depuis sa fondation, depuis l’époque des Dames Blanches et de sainte Adeline, il y a maintenant plus de 900 ans.
Jean Michel Jolibois, spiritain en communauté à la maison-mère à Paris et ancien élève de Mortain