Mon très cher frère Franz
Te souviens-tu, le 3 septembre 1983, nous étions ensemble ici même dans cette chapelle, côte à côte à prononcer notre 1er engagement spiritain devant Dieu, devant nos confrères, et devant nos familles et amis. Aujourd’hui, tu es là, au même endroit, et nous allons te remettre dans le cœur de Dieu et te dire MERCI. Merci pour ta belle, riche, mais trop courte vie donnée à Dieu et aux autres en tant que spiritain. Oui, MERCI Franz, parce que pendant ces 41 ans, toi l’écolo qui aimais la vie et voulais rendre la terre plus belle, tu n’as cessé de semer des graines, bonnes pour la plupart, qui ont poussé, fleuri, porté des fruits, et qui continuent à grandir.
Né François Lichtlé le 16 octobre 1957, tout le monde t’appelle Franz. Tu expliquais au normand que j’étais que « Lichtlé » veut dire « petite lumière ». Tu es né à Soultzmatt, ce magnifique village dominé par sa colline, le Zinnkoepflé, que tu aimais gravir. Soultzmatt est dans le célèbre vignoble alsacien et tu étais si heureux de nous faire connaître et apprécier les bons crus de ton oncle Léon Boesch et de ses descendants. Avec tes parents Eugénie et Antoine, et avec tes frères André (dit Dédé), Bernard et Jean-Paul, votre famille, ô combien fraternelle, unie et chaleureuse, baigne dans l’amour et la foi. Chaque évènement, chaque anniversaire, est fêté comme il se doit par de mémorables rencontres familiales, à tout moment de l’année, plus spécialement en été lors de pique-niques alsaciens ! Comme dans toutes les familles, vous avez vécu de grandes joies mais aussi de dures épreuves.
Après ta scolarité chez les spiritains, tu es parti faire ton stage missionnaire de 2 ans à Pointe-Noire au Congo-Brazza. A ton retour, nous avons suivi ensemble la formation intellectuelle (philosophique, théologique, exégétique…). Pas facile toute cette théorie, le terrain nous manquait. Mais nous avons tenu bon, et déjà, tu semais tes petites graines : nous avons accueilli la marche des Beurs à Paris et participé au mouvement « Touche pas à mon pote ».
En 1987, dans ta lettre de demande d’affectation, tu écrivais au supérieur général quel sens avait ton engagement dans la congrégation et les grandes lignes que tu allais suivre toute ta vie. « J’ai constaté que les priorités actuelles de la Congrégation allaient beaucoup dans le sens de justice et paix, dans le sens d’une solidarité avec les peuples qui souffrent, qui luttent pour leur libération : libération économique, politique, physique, morale, …, dans le sens d’une annonce de l’Evangile qui parle de paix, de pardon, de réconciliation, mais aussi de dignité d’hommes et de femmes « debout ».
MERCI, Franz, pour la graine de ton engagement de spiritain appelé à construire un monde plus juste où chacun est reconnu et a sa place.
N’obtenant pas ton visa pour l’Afrique du Sud, tu es parti en Haïti en 1988 et tu y resteras jusqu’en 2001. Tu as aimé ce pays très pauvre ; tu as partagé la vie des hommes et des femmes haïtiens sans grandes ressources économiques mais riches de valeurs humaines et de foi en Dieu. Témoins de la souffrance de tout un peuple, tu as lutté pour éradiquer cette misère et essayer de donner, de redonner de la dignité à des êtres humains. Toutes tes lettres que tu envoyais nous en parlent. Par exemple, en mars 2000, tu écrivais : « Sur le terrain, c’est toujours plus de misère. Le nombre de mamans qui n’arrivent pas à s’occuper de leurs enfants ; le nombre de malades qui n’arrivent pas à acheter le moindre remède ; beaucoup d’enfants arrivent le matin à jeun … Aussi nous avons réussi notre pari de créer un nouveau village pour reloger une partie des sinistrés. Une école de 170 enfants fonctionne vaille que vaille. Nous essayons de constituer le village en coopérative pour que les habitants puissent gérer ensemble les biens communs ».
MERCI, Franz, en Haïti, tu as été semeur de paix, de vie, d’espérance.
Tes supérieurs t’ont rappelé en 2001 pour t’occuper du foyer des jeunes à Valence dans la Drôme. Tu t’y es donné à fond pendant 6 ans. Tu as rassemblé des jeunes poursuivant leur scolarité avec des jeunes travailleurs et aussi des personnes en précarité. Tu as expliqué ta façon de faire : « J’ai trouvé important que le foyer soit en lien avec la paroisse Notre-Dame-des-Peuples où se vivent les échanges interculturels. Ce n’est pas qu’un prêche de curé. On montre dans cette maison qu’il est possible de vivre ensemble tout en étant de cultures différentes. C’est une mission d’ouverture, de rencontre et d’échange avec les autres ».
Merci, Franz, à Valence, tu as été semeur du vivre-ensemble et des grandes richesses de l’interculturalité.
Puis vinrent les 11 années comme curé-modérateur de l’Unité Pastorale de Blanc-Mesnil, dans le diocèse « Arc en Ciel » de Seine-Saint-Denis. Que de travail accompli dans l’œcuménisme, le dialogue interreligieux, les rencontres conviviales des Estivales de la Molette, l’équipe ACO, les 6 EAP, l’Equipe Pastorale. Je n’oublie pas aussi que tu invitais à t’accompagner à la fête de l’Humanité (ton côté gauchiste, parfois provocateur, mais toujours avec le sourire et l’humour). Là aussi, tu écrivais au moment de ton départ de Blanc-Mesnil :
« Dieu nous a nourri, il nous a fait grandir, il nous a permis de tenir dans les moments difficiles. Il s’est associé à nos joies et nos solidarités ! Il a été là au milieu de nous lors de nos luttes, nos victoires, nos échecs, nos deuils, nos nuits ! Ce que nous entreprenons en Eglise ne sera jamais achevé ; nous devons continuer, chacun de notre côté, ce que nous avons commencé ensemble ».
MERCI, Franz, à Blanc-Mesnil, tu as été semeur de l’Arc en Ciel de la foi et de l’amour.
En 2020, tu as rejoint la Maison-Mère 30 Rue Lhomond, pour t’occuper de la communication, et plus spécialement de la revue « Pentecôte sur le monde ». Quand le journal arrivait, les abonnés se précipitaient sur l’édito et sur la page prière. Toi, l’écrivain, le poète, le « priant », tu nous as fait voyager, rêver, prier, méditer, aller à l’essentiel. Je te cite :
« Le bonheur est dans un voyage intérieur.
Seigneur, tout au long de cette année, donne-moi une foi pour traverser les frontières de la peur !
Donne-moi une espérance pour aborder les territoires de l’incertitude !
Donne-moi une confiance pour aborder tous mes plans avec audace et inventivité ». Franz
MERCI, Franz, à Pentecôte sur le Monde, tu as été semeur de soleil, de Paradis, de l’Eternel.
Lundi 28 octobre, tu t’es envolé de la Rue Lhomond pour Manille. Mais tu es arrivé plus loin que Manille ; ton billet était un aller pour l’au-delà, l’Aujourd’hui de Dieu. Ton dernier message aux tiens a été : « Finalement, ça commence bien ! ». Continue à semer encore et toujours les graines de paix, de joie, de fraternité, de tolérance, de justice dans le Royaume de Dieu. Mais à nous qui sommes encore à peiner dans la « maison commune » que Dieu nous a confiés, continue à nous envoyer, encore et toujours, tes lettres de réconfort, tes poèmes d’amour, tes prières de vie.
MERCI de tout cœur, mon très cher Franz.
Jean SIBOUT.
Le 13/11/2024, Chevilly-Larue