« Pourquoi restez-vous là à regarder le ciel » ?
Dix mois, et il s’essaie à marcher… Il s’agrippe à tout ce qu’il trouve… La main, les doigts de sa maman le rassure… Il titube, il chancelle… Il ne lui manque pas grand-chose… Et puis un jour, la maman dégage le doigt de sa main, elle se recule… C’est l’hésitation, la peur, l’angoisse, maman l’a laissé tomber, il cherche vainement un appui et puis il s’essaie, il se lance seul… et voilà que le bébé est devenu un enfant…
Depuis toujours les religieux de toutes les religions ont regardé vers le haut, vers le ciel, vers l’infini, pour s’adresser à leurs divinités. Et puis bien sûr, les grands de la terre et ceux des religions se sont eux aussi installés un peu plus haut que le peuple pour le regarder d’en haut. C’est devenu normal…
Les apôtres n’ont pas échappé à ce réflexe ; le Christ ressuscité ils le cherchaient en haut dans les nuées du ciel. Ce n’est que là qu’il pouvait être. Mais voilà qu’une voix du ciel leur dit : « Pourquoi restez-vous là à regarder le ciel » ?
Lui venait de partir et eux se souvenaient de ce qu’ils avaient vécu ensemble pendant trois ans. Tout ce qu’il leur disait sur le Royaume de Dieu. Et tout ce qu’il faisait, son accueil, sa bonté, ses succès, ses échecs, ses souffrances, sa mort, sa résurrection.
“Pourquoi restez-vous là à regarder le ciel ?”, ont précisé les anges. C’est qu’il s’était élevé et avait disparu là-bas, dans la nuée. Et eux, ils restaient là à regarder le ciel, comptant le voir encore. Mais ils ne voyaient rien, juste quelques nuages.
C’est à ce moment-là, qu’ils ont compris que le Dieu de Jésus n’est pas semblable aux autres divinités. Le Dieu de Jésus est venu leur dire qu’il est un Dieu sur la terre, un Dieu parmi les hommes… Et même là, il n’est pas dans les palais, là-haut perché sur un fauteuil, hors d’atteinte, mais c’est bien en bas, au plus profond, auprès du pauvre, du blessé, du petit, du marginal, de l’incompris, de l’exclu qui n’est pas comme tout le monde, au cœur d’une nature détruite …
Nostalgie du passé, quand tout était plus clair, les églises remplies, les traditions suivies et les lois respectées, les bons récompensés et les mauvais punis, la famille solide et l’Église obéie, et la terre tournait rond. On se retourne, on regarde le passé et on reste en arrêt : “Pourquoi restez-vous là ?”
Sans repère, sans rien à quoi se raccrocher, on regarde en l’air, pour oublier le monde. On suit des religions, et des déviations, qui font sortir du monde et oublier la vie, qui donnent à bon compte un peu de consolation et bien des illusions. Qui répandent des messages, jouent du merveilleux. Et on oublie la terre pour ne plus regarder qu’un petit coin de ciel. “Pourquoi restez-vous là, à regarder le ciel ?”
Que tous sachent qu’un jour, le ciel s’est entrouvert et qu’un homme est passé.
Jésus est parti. Son absence est voulue. Ne le retenez pas. C’est à vous qu’il revient de répandre son message, de marcher par vos propres moyens… sur ses pas. De lutter pour la paix, la justice pour tous, le respect des plus petits et l’accueil des exclus, des rejetés, des repoussés et des excommuniés, et pour la liberté de penser et d’agir, dans la société comme dans les Églises, et pour une terre régénérée. Que tous sachent qu’un jour, le ciel s’est entrouvert et qu’un homme est passé. Ne restez donc pas là, mais allez proclamer partout la Bonne Nouvelle.
Tout reste à faire. C’est à nous, c’est à l’Église, de témoigner aujourd’hui de celui qui est venu nous révéler le visage du Père. Les photographes savent bien ce qu’est la profondeur de champ qui permet d’obtenir des images parfaitement au point d’une scène très vaste. Il nous faut à nous aussi une grande profondeur de champ pour nous souvenir et espérer, pour contempler la gloire de Dieu mais aussi lutter ici-bas dans le noir et la boue pour la justice et la paix, en un mot pour continuer l’œuvre de salut inaugurée par le Christ. Pour nous y aider, nous avons l’Esprit Saint, à l’œuvre dans les sacrements et spécialement dans l’eucharistie que nous célébrons. C’est l’Esprit de Pentecôte. Dans dix jours nous le fêterons et l’Ascension prendra tout son sens !
Homélie de Franz Lichtlé à la maison-mère des spiritains à Paris pour l’Ascension