Célébration d’au revoir à Jacques Gaillot 1 Jean, 3, 14-20, Ps 26, Luc 10, 25-37
Samedi et dimanche dernier, avec une équipe d’aumônerie, nous étions à la maison d’arrêt de Fleury Mérogis pour célébrer l’eucharistie avec deux groupes de détenus. A l’occasion, nous n’avons pas pu nous empêcher de penser à Jacques qui ne ratait jamais ses rendez-vous avec des détenus, dans diverses prisons de France. Des femmes, des hommes, jugés, condamnés, rejetés, blessés, laissés au bord et même en-dehors de la société, recevaient ainsi, régulièrement les visites de Jacques qui se refusait de les abandonner à leur sort, pour leur rappeler leur dignité, malgré tout leur passé…
En même temps que Jacques se savait condamné sur son lit, à l’hôpital Pompidou, la liturgie de la Semaine Sainte nous renvoyait à son parcours de vie, un peu comme l’écriture d’une poésie en continu, qui s’écrivait chaque jour, avec les mots de la vie, les mots de l’actualité, les mots de la souffrance, les mots des questions du temps, les mots de l’évangile. Ces paroles se concrétisaient au fur et à mesure en actes, pour être en conformité avec la parole Dieu.
Comme le bon samaritain, Jacques ne craignait pas d’être en retard à une obligation, si un besoin pressant se présentait sur la route. L’institution, les structures devaient savoir attendre. Évidemment, pour celles et ceux qui étaient avec lui, ce n’était sans doute pas facile de le suivre sur ce chemin d’évangile qu’il avait choisi.
Jacques, poète aux côtés des délaissés
Il était alors, pour certains, plus facile d’enfermer Jacques derrière des caricatures, des idées toutes faites, un peu comme pour se protéger soi-même d’un questionnement, d’une quelconque remise en cause. Les excuses sont nombreuses pour ne pas avoir à dévisager l’autre souffrant sur la route. Les écrans se dressent facilement, pour ne pas avoir à regarder en face le blessé de la vie. Un prêtre se justifie vis-à-vis d’une impureté qu’il contracterait en touchant au sang de la victime d’un brigand, un Lévite prétexte un retard possible pour la prière au temple…
Jésus n’a-t-il pas été lui-même condamné parce qu’on aurait aimé le limiter à son identité de fils de charpentier, originaire de Nazareth, d’où rien de bon ne pouvait sortir, un désobéissant à la loi, un négligeant du jour du sabbat, un rebelle à la règle de ne pas s’adresser à un païen ou à une étrangère, pécheresse de surcroit, et là, sur la route, de toucher à un homme blessé, ensanglanté… Ah qu’il est facile d’enfermer quelqu’un dans ses audaces. La presse, ces jours-ci, n’a pas manqué d’enfermer Jacques dans ce personnage rebelle, progressiste, contestataire, sanctionné, relégué, ou dans cet évêque rouge …
Mais la poésie de la vie de Jacques s’écrivait ailleurs, autrement. Elle proclamait ses rimes avec l’homme blessé, rencontré au hasard de sa route, sans distinction de religion, de condition, au risque bien sûr de se faire avoir, mais se faire abuser par un pauvre hère, n’est-ce pas d’une certaine façon, lui rendre justice ? Il n’est écrit nulle part que le pauvre Lazare était un bon pauvre, juste, sage et soumis !
Evêque d’un diocèse virtuel, ressource de foi, proposition d’espérance, havre de paix
La poésie de Jacques a longtemps rimé avec Partenia, cette auberge dans laquelle il a conduit des milliers de blessés de la vie, de l’Église, de la société. Des femmes, des hommes, des jeunes, qui dans l’église et hors de l’église, avaient le sentiment de ne pas exister, celles et ceux qui se sentaient laissés au bord du chemin, non concernés par ce qui leur était proposé. Ils trouvaient là, dans ce diocèse virtuel, inventé pour eux, une ressource de foi, une proposition d’espérance, un havre de paix, un baume d’amour, une humanité bien charnelle qui leur permettaient de cicatriser leurs profondes blessures…
Avec Droits devant, les engagements rimaient avec un soutien indéfectible aux sans-papiers, ces migrants en quête de vie, parqués dans des bidonvilles insalubres, dans nos banlieues, souvent pas loin de déchetteries, de lignes de chemin de fer, d’autoroutes ou de cimetières…
A travers l’art du sens du service qui était devenu chez lui comme une seconde nature, Jacques a su se rendre le prochain de tous ces blessés, qui avaient besoin, à un moment de leur vie, d’une parole, d’un geste, d’un soutien, d’un regard bleu de compassion. Et si notoriété il a eu, il s’en est servi, au cours de ses nombreuses manifestations, pour le soutien de ces exclus, de ces incompris, de ces souffrants…
N’était-ce pas là la place d’un évêque ? Question bien ancienne ! N’était-ce pas la place de Jésus sur les chemins de Palestine, à la table des publicains et des pécheurs, se laissant toucher par des femmes de mauvaise vie ? La croix n’était effectivement pas la place du fils de Dieu, mais l’homme l’y a bien crucifié !
Jacques, que le poème de ta vie, continue encore longtemps à enduire avec le baume de l’amour, les blessures des mutilés que notre monde, notre société, notre église laisse au bord du chemin !