Armel Duteil est spiritain à Dakar, au Sénégal. Aumonier d’hôpital et des prisons et coordinateur des actions Justice et Paix des religieux du Sénégal, il nous livre un témoignage poignant et éclairant de ce que le Seigneur lui a enseigné lors de son hospitalisation pour Covid 19.
Une leçon de confiance et de disponibilité
“Je m’étais fait vacciner dès le mois de mars, aussi je pensais être protégé du Covid. J’ai donc continué mes visites à l’hôpital pour soutenir et prier avec les malades et leurs familles, aussi bien musulmans que chrétiens. Mais quand j’ai été sérieusement atteint, j’ai dû être hospitalisé et mis sous oxygène. Je suis reconnaissant à mes confrères qui m’ont bien pris en charge.
Comme aumonier d’hôpital, j’ai apprécié d’être “de l’autre côté de la barrière” pour mieux comprendre comment les choses se passent de l’intérieur pour les malades.”
La première chose que j’ai vécue, c’est la nécessité de la confiance et de la disponibilité : ne pas savoir ce qui va m’arriver et ne pas comprendre ce qu’on va ma faire. Ma prière était : « Père, que ta volonté soit faite ». Et puis, peu à peu la confiance est venue. D’abord grâce à la gentillesse des soignants. Il est vrai que j’en connaissais certains suite à mon travail d’aumônier d’hôpital, ou à mes autres activités : groupes d’action catholique ou de prière, préparations au mariage, interventions dans les centres sociaux….
La chambre d’hôpital : lieu d’amitié interreligieuse
Ce séjour a été un véritable parcours d’amitié. Nous sommes deux dans la même chambre, avec un père de famille musulman. Le deuxième jour, le médecin chef me présente en lui disant : « C’est un prêtre catholique. Il a attrapé le Covid en allant prier pour les malades à l’hôpital de Fann ». Aussitôt, une grande confiance naît entre nous. D’abord, il partage avec moi la nourriture qu’il reçoit. Il m’offre de l’eau chaude pour prendre ensemble le café du matin et il me laissera même sa bouilloire quand il sortira. Il me dit : « Tu sais, si je fais cela, ce n’est pas à cause de toi, ni pour moi. C’est pour Dieu ». Tu vas être mon chef religieux. Actuellement, je suis au chômage. Tu vas prier pour moi, pour que je trouve du travail ». Il me parle de sa femme qu’il aime beaucoup. Et des soucis qu’il a pour l’éducation de ses enfants : deux garçons et deux filles. Il me promet : quand tu seras guéri, nous viendrons te voir tous ensemble ».
Attentif et compatissant à chacun
Ce n’est pas facile de reconnaître les soignants avec leur tenue de protection et surtout leur masque. J’essaie de les repérer à certains détails. Et avec chacun j’essaie de parler au moins rapidement de leur travail difficile. Tous m’appellent rapidement par mon prénom (pourtant pas facile à retenir). Plusieurs me laissent leur numéro de téléphone. Je m’étonne de nos bonnes relations. L’un d’eux me dit : » c’est un retour d’ascenseur » ! Et une autre m’achète mes médicaments pour le cœur quand ils sont terminés.
L’assistante sociale que je connais déjà me confie ses soucis. Et en particulier les cas les plus graves, pour que je prie pour eux. Ce que je fais. Et je partage la tristesse des parents quand j’entends les cris de détresse annonçant un décès. C’est une grande tension de vivre ainsi dans cet hôpital où la mort rode.
Relire ma vie pour grandir de cette expérience
Pendant tout ce temps, je lis lentement le livre de Lucien Favre sur François Libermann : » Un guide spirituel pour aujourd’hui ». Je médite spécialement sur l’importance du renoncement et de l’union pratique. Je prends des décisions concrètes, que j’espère être capable de tenir, personnellement et en communauté. Je crois que c’est ainsi l’une des meilleures retraites que j’ai faites.
Les visites ne sont pas autorisées bien sûr, mais j’ai mon téléphone, et la responsable de l’hôpital me prend un abonnement pour un mois. Je peux donc appeler sans problème, partager ce que je vis et accueillir avec joie ce que vivent confrères et amis. Je découvre ainsi des tas d’amitiés cachées, et aussi d’attentes et de besoins jusqu’à maintenant non exprimés, en regrettant d’être trop souvent passé à côté, me laissant trop prendre par les activités. Il me faudra être plus attentif à l’avenir.
Pendant tout ce temps, j’essaie de développer en moi deux sentiments : la confiance dans ceux qui me soignent, car j’ai souvent de la peine à faire confiance à ceux avec qui je suis engagé. Et la patience : ce n’est pas mon fort, et trois semaines sous oxygène c’est long. Surtout que je devais retourner en Côte d’Ivoire pour continuer mes contacts de l’année dernière et surtout participer à l’ordination sacerdotale de notre premier confère ivoirien, que je suis depuis plusieurs années. Nous avions beaucoup sympathisé avec ses parents, sa paroisse et ses amis de Bouaké. Je ne pourrai pas assister non plus à l’ordination de nos cinq nouveaux diacres, ici à Dakar. J’offre cela au Seigneur.
La prière et l’action de grâce : soutien indéfectible
Qu’est-ce que je retiens de tout cela ? D’abord en tant qu’aumônier d’hôpital, le fait d’être « de l’autre côté de la barrière » va beaucoup m’aider à mieux comprendre les malades, leurs familles et le personnel de santé. Je sens plus qu’avant l’importance de l’amitié et du partage dans les petites choses de la vie. Et l’importance de la prière dans l’action de grâces. Cette maladie, avec les risques encourus a été une bénédiction et l’occasion d’un nouveau départ, même s’il me faut d’abord bien me reposer pour retrouver des forces.