Depuis toujours, ce qui m’a fait aimer l’architecture, c’est sa transversalité. C’est une discipline qui part de l’humain, qui s’intéresse à ses besoins, son activité, sa culture, son travail, pour finalement aboutir à un ‘geste créateur’, à une réponse concrète visant à aménager son cadre de vie individuel et collectif.
Architecte et prêtre dans le sillon de Jésus, charpentier dans l’atelier de Joseph
Ne faut-il pas, en outre, être ‘habité’ de certaines valeurs pour devenir architecte : une réelle philanthropie, une sensibilité artistique, une rigueur scientifique, technique, économique… ?
Ces valeurs, si on les prend au mot, ne sont pas si éloignées de celles qui font naître une vocation religieuse, en tout cas dans la perspective chrétienne telle qu’on la lit dans l’Evangile et qui consiste à servir l’Homme comme Jésus-Christ l’a servi. Lui-même n’a-t-il pas fait ses armes comme charpentier à Nazareth jusqu’à l’âge de 30 ans avant de se lancer dans sa vie itinérante sur les routes de Galilée ?
Pour être architecte, comme pour être prêtre, il faut pouvoir se livrer, se projeter, autant dans l’espace que l’on cherche à investir que dans la relation avec ceux et celles qui l’habitent. Les deux trajectoires répondent l’une et l’autre à un appel : celui de tisser du lien, avec soi-même, avec les autres, et, dans la foi, avec Dieu source de toute vie.
Une histoire de rencontre
Mon expérience spirituelle a été comme l’ouverture d’une fenêtre sur le monde dans son immensité et sa diversité. La rencontre avec le Christ m’a poussé à la rencontre avec les autres, et en particulier ceux et celles qui sont, en apparence, les plus éloignés de par l’histoire, la géographie, la culture, la religion…
“Pour être architecte, comme pour être prêtre, il faut pouvoir se livrer, se projeter, autant dans l’espace que l’on cherche à investir que dans la relation avec ceux et celles qui l’habitent.”
Aussi, je n’ai pas voulu entrer au Séminaire pour devenir prêtre diocésain -autrement dit curé de paroisse- mais j’ai choisi une congrégation religieuse, les ‘Spiritains’, qui me permettait à la fois de vivre en communauté (nous sommes au moins trois dans chacune de nos maisons), de partir à la rencontre d’autres peuples et de mettre en pratique mes compétences professionnelles.C’est ce que j’ai pu faire au cours des différentes missions qui m’ont été confiées, en Afrique de l’Est d’abord (Tanzanie, Congo Kinshasa) et depuis 6 ans en Haïti.
Concilier avec le chaos urbain
Le contexte haïtien m’était particulièrement désigné : frappé par un séisme dévastateur en janvier 2010, Port-au-Prince et sa région ont vu s’effondrer nombre d’habitations, d’écoles et d’églises… qu’il fallait rebâtir.
Ce qui choque dans ce pays, et dans sa capitale surtout, c’est bien sûr la pauvreté ambiante, la lutte pour la survie quotidienne à laquelle est livrée la majorité de la population, l’insalubrité des quartiers informels, l’état de délabrement des bâtiments et des rues… mais c’est aussi l’absence de pensée urbaine. La ville, qui, à l’origine, s’organisait à partir du front de mer, lui tourne maintenant le dos pour s’accrocher aux pentes des montagnes alentours ou se disperser dans la plaine sans aucun contrôle des flux de circulations ni des modes de constructions.
Prétendre poser un geste architectural dans un tel environnement demande un minimum d’humilité ! Pourtant, si l’on ne peut pas changer les choses en profondeur, on peut les améliorer. Il ne s’agit pas d’impressionner, mais de montrer que par la mise en place d’un plan d’ensemble, l’usage de techniques locales et de matériaux simples, on peut œuvrer à une harmonie spatiale qui, par capillarité, pourra régénérer un lieu, un quartier, une ville, un territoire… !
Reconstruction d’une école à Port au Prince
Mon expérience spirituelle a été comme l’ouverture d’une fenêtre sur le monde dans son immensité et sa diversité. La rencontre avec le Christ m’a poussé à la rencontre avec les autres, et en particulier ceux et celles qui sont, en apparence, les plus éloignés de par l’histoire, la géographie, la culture, la religion…
Le plus gros de mon travail consiste à piloter la reconstruction d’une école, dans le centre-ville de Port-au-Prince, le Collège Saint Martial : 2000 élèves qu’il faut déloger des hangars de bois et de tôles aménagés après le séisme. Petit à petit, nous reconstruisons des bâtiments scolaires. C’est une joie de voir l’émerveillement des enfants, de leurs parents et de leurs professeurs devant l’école en renaissance. C’est une joie aussi de dialoguer avec les ingénieurs et les ouvriers sur les chantiers.
Il reste une frustration : un pays entier est à construire, les forces vives sont là, nombreuses, et si peu est fait… Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas ici et au-delà, un déséquilibre économique vertigineux fracture notre génération et prive de liberté une trop grande part d’elle-même.
“Pitit Bondye pa konn pèdi batay “! dit un proverbe haïtien (les enfants de Dieu ne capitulent jamais !) La foi reste un bain d’espoir pour beaucoup, naïvement peut-être, mais il est sûr que ce dont notre monde a besoin, qu’ils soient prêtres ou non, architectes ou non, ce sont des créateurs, des passionnés d’humanité et des bâtisseurs de ponts entre tous !