Psychologue au foyer Maximilien Kolbe à Boulogne, lieu de vie de 46 jeunes de 14 à 21 ans, Manuel Bumba Gaiola nous partage son expérience riche d’humanité.
« Si quelqu’un veut partager sa foi par la parole, il doit beaucoup écouter », écrivait le pape François. Ordonné en 2003, Manuel est envoyé comme aumônier à la Fondation d’Auteuil. Après 9 ans, il ressent le besoin de prendre du recul et se lance dans un Master de psychologie. Il porte une attention particulière à la culture d’origine des jeunes pour mieux accueillir leurs paroles.
Qu’est ce qui t’a conduit après 9 ans de ministère à te former à la psychologie ?
J’ai toujours aimé la psychologie. Comprendre l’autre, ce qu’il vit. Être face au mystère de la personne humaine. Jusqu’à un temps pas si ancien, le psychologique était mal vu dans l’église. Pourtant mes années à Auteuil me mettent face à des réalités qui m’échappent, qui me dépassent. Ce que vivent les jeunes me bousculent et mes acquis en théologie et en philosophie ne me suffisent pas à les accompagner. On reçoit plein de vécus, d’histoires douloureuses quand on est prêtre et il me manque la dimension psychologique pour mieux écouter. J’ai senti assez vite une complémentarité entre le psychologique et le spirituel.
Comment les jeunes viennent à ta rencontre ?
Je les rencontre à la demande des éducateurs ou à ma demande à leur arrivée et au fil de leur séjour. Il est plus rare que ce soit à leur initiative. « Aller voir le psy » est encore assez connoté dans leur esprit. C’est encore pour les fous, pour se faire soigner. Je leur fais entendre le soutien possible et réoriente si je sens des besoins qui relèvent du psychiatrique ou d’un suivi spécial dédié aux réalités des personnes migrantes par exemple.
Certes il y a le suivi classique dans le bureau mais il se dit aussi beaucoup autour d’une table de ping pong, d’un goûter. Rencontrer le jeune là où il est à l’aise est essentiel. Les soirées palabres : des groupes de parole sur des thèmes sont également propices aux échanges en vérité.
La psychologie dans la culture d’origine : pas simple d’exprimer la souffrance
Dans certaines cultures, on n’exprime pas la souffrance psychique. Parler de soi, se retrouver en face à face est difficile. Il convient de créer un lien, une relation de confiance. Leur faire entendre qu’il n’y a pas de risque à parler. Or pour beaucoup, la confiance des adultes a été trahie.
Ils ne sont pas obligés de me croire d’emblée mais parler va leur faire du bien. Cela permet de changer la représentation du passé. En parlant d’une expérience qu’ils ont subie, ils prennent une autre position et cela soigne. Mais cela prend du temps. Or il y a l’adolescence à vivre, avec un vécu personnel, des carences éducatives, des trajectoires de migration. Ils doivent en même temps s’intégrer, passer des diplômes, acquérir la langue française, obtenir des papiers et ils mettent le psychologique de côté. Ils sont dans la survie. Une fois stabilisés, ils se sentent moins en danger et se permettent de souffrir.
Revenir sur le passé peut être douloureux. Mais c’est comme une blessure physique que tu décides de soigner. Tu nettoies et ça fait mal mais ça cicatrise. Certes la cicatrice est toujours visible mais la plaie se referme. Leur parcours est chaotique, ce sont des jeunes qui ont grandi trop vite. Et souvent il y a eu des expériences douloureuses avec des adultes, dans leur inconscient, quelque chose leur dit « tous pourris ». L’enjeu est de créer une nouvelle relation apaisée. La chance à Auteuil c’est tout cet ensemble qui soigne : de l’éducateur à l’aumônier, de la femme de ménage au psychologue et les liens d’amitié avec les autres jeunes du foyer aussi.
L’écoute bienveillante à la manière de Jésus avec les disciples d’Emmaüs
« L’écoute suppose une attention à la personne. Il s’agit d’écouter l’autre qui se donne lui-même à nous dans ses paroles. Le signe de cette écoute est le temps que je consacre à l’autre. Ce n’est pas une question de quantité, mais que l’autre sente que mon temps est à lui: celui dont il a besoin pour m’exprimer ce qu’il veut. Il doit sentir que je l’écoute inconditionnellement, sans m’offenser, sans me scandaliser, sans m’ennuyer, sans me fatiguer. Cette écoute est celle que le Seigneur exerce quand il se met à marcher à côté des disciples d’Emmaüs et qu’il les accompagne un long moment par un chemin qui allait dans la direction opposée à la bonne direction (cf. Lc 24, 13-35). Quand Jésus fait le mouvement d’aller de l’avant parce qu’ils sont arrivés à leur maison, là ils comprennent qu’il leur a offert son temps, et alors ils lui offrent le leur, en lui donnant l’hébergement. Cette écoute attentive et désintéressée indique la valeur que l’autre personne a pour nous, au-delà de ses idées et de ses choix de vie ». Christus Vivit, 292. Exhortation apostolique du pape François
En pleine actualité sur les accompagnements sous emprise, qu’est-ce qui te soutient ?
La vie fraternelle et la vie de prière à la communauté Erasme des étudiants spiritains m’aident à souffler. Ainsi que le cadre d’Auteuil, riche de garde fous pour éviter les déviances. On a le temps, le cadre du bureau, la supervision mensuelle où l’on relit en équipe des suivis qui nous déplacent. Et il reste à reconnaître que quand on accompagne il faut être accompagné. Je rencontre certains jeunes qui tiennent debout grâce à la foi. Certains ont traversé des mers, des pays, des traumatismes. Ils ont perdu leurs repères, leur famille, leur langue, mais il leur reste la foi. Je les aide à prendre conscience que ce qu’ils ont vécu est dur et qu’une autre vie est possible.
Manuel Bumba Gaiola, spiritain